Vieillissement, fin de vie


Avis 128 Enjeux éthiques du vieillissement. Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? Quels leviers pour une société inclusive pour les personnes âgées ?


 Résumé de l’Avis

Le vieillissement de notre société est aujourd’hui une réalité démographique indéniable et qui invite à repenser notre façon de vivre ensemble pour permettre une meilleure inclusion des personnes âgées. Des mesures législatives ont ainsi été entreprises ces dernières années pour faire face à cette réalité, que ce soit par la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement ou bien par celle de 2016 relative à la modernisation de notre système de santé. C’est dans ce contexte social et politique que le CCNE a choisi de s’autosaisir pour traiter des enjeux éthiques du vieillissement, trop peu présents à ses yeux dans la construction des politiques publiques relatives à l’accompagnement des personnes âgées : comment rendre la société davantage inclusive vis-à-vis de ses citoyen(ne)s les plus âgé(e)s ?

Le CCNE a décidé de faire partir sa réflexion de la question de la « concentration » des personnes âgées dans des établissements d’hébergement. En effet, force est de constater que l’institutionnalisation des personnes âgées dépendantes et leur concentration entre elles   génèrent des situations parfois indignes, qui, réciproquement, sont source d’un sentiment d’indignité de ces personnes. Leur exclusion de fait de la société, ayant probablement trait à une dénégation collective de ce que peut être la vieillesse, la fin de la vie et la mort, pose de véritables problèmes éthiques, notamment en termes de respect dû aux personnes. En effet, bien que cette institutionnalisation forcée soit revendiquée au nom de principes de bienveillance et dans le but d’assurer la sécurité de ces personnes vulnérables, celle-ci se fait souvent sous la contrainte, faute d’alternative, et se joint en outre de l’obligation pour ces personnes de payer pour un hébergement qu’elles n’ont pas voulu.

Cet avis cherche, dans cette perspective, à répondre aux questions suivantes : comment nos sociétés vont-elles accompagner l’augmentation des situations de dépendance et la perte d’autonomie générées par les conséquences de l’augmentation de la longévité mais aussi des progrès réalisés dans le domaine du traitement des maladies ? Quels pourraient être les espaces de vie de ces personnes, qui connaissent notamment une perte d’autonomie ? De quels moyens disposerons-nous pour les accompagner ?

Comment ferons-nous pour respecter le désir de ces personnes vulnérables de choisir leur lieu et leur mode de vie sans forcément accepter les modèles normatifs et souvent institutionnels qui leur sont proposés voire imposés?

Dans cet avis résolument « politique », le CCNE propose ainsi quelques pistes concrètes pour renforcer la conscience de cette réalité démographique, le vieillissement de notre population, et le respect des personnes âgées.

De nouvelles formes de solidarités dans notre société s’imposent en direction des personnes les plus fragiles et vulnérables. Pour ce faire, le CCNE propose notamment de :

-          Repenser la création d’un cinquième risque de la sécurité sociale, pour permettre une meilleure prévention et un meilleur accompagnement des personnes dépendantes.

-          Changer le paradigme du soin au sein de notre système de santé en cherchant à inclure de façon plus systématique les proches et les aidants, condition sine qua non du maintien à domicile. A cet égard pourrait être constitué un plan pour le répit et le soutien des aidants, afin de leur permettre d’acquérir les compétences, et de leur donner le temps, nécessaires à l’accompagnement des personnes qui restent à leur domicile.

-          Faire évoluer le droit social, notamment pour permettre à un proche d’aider et d’accompagner une personne malade ou handicapée. A ce titre pourrait être explorée la possibilité d’un enrichissement du compte personnel d’activité (CPA).

-          Penser de nouvelles formes de bénévolat pour matérialiser les solidarités entre ceux qui bénéficient de la santé et ceux qui souffrent de maladie ou de handicap et leurs proches.

-          Mieux protéger les personnes vulnérables par la création d’un délégué interministériel à la protection des majeurs, comme le suggère un récent rapport de la Cour des comptes.

 

Le CCNE propose un renforcement des politiques d’accompagnement du vieillissement. Il conviendrait, selon lui, de :

-          Développer une culture préventive pour mieux anticiper le quatrième âge, pour anticiper l’adaptation du domicile, l’organisation des services à la personne ou encore le lien avec les aidants.

-          Développer les dynamiques intergénérationnelles entre bien portants et malades ou porteurs d’un handicap, entre jeunes et personnes âgées, entre actifs ayant un emploi, personnes sans emploi et retraités… pour favoriser la transmission des savoirs et de l’expérience – en particulier professionnelle - de ces personnes devenues économiquement « inactives » en raison de leur âge.

-          Faire du numérique un outil pour favoriser l’accompagnement du vieillissement et créer de nouvelles formes de solidarité.

-          Mieux former, mieux accompagner et valoriser tout au long de la pratique les métiers de l’aide à domicile, notamment en prenant mieux en compte la pénibilité des soins et l’exposition affective et émotionnelle qu’impliquent ces professions. Développer les nouvelles compétences professionnelles ou les nouveaux métiers tels que les gestionnaires de cas.

-          Reconsidérer la notion de performance et de tarification tant dans les EHPAD que dans l’accompagnement à domicile.

-          Favoriser, au niveau local, des pôles de regroupement entre services concourant au maintien au domicile des personnes âgées. Il s’agirait de permettre à la personne âgée en perte d’indépendance et d’autonomie de garder les mêmes repères, les mêmes aidants professionnels, quelque soient les différents services qu’elle requiert.

-          Favoriser et diversifier les alternatives à l’EHPAD sur un même territoire, comme par exemple l’habitat intergénérationnel, l’habitat autogéré, l’habitat intermédiaire pour personnes âgées (résidences-autonomies ; résidences services).

 

-          Contribuer à la dé-ghettoïsation des personnes âgées, en réfléchissant notamment à l’EHPAD hors l’EHPAD – pourrait être imposé par exemple aux immeubles nouveaux d’intégrer un ou deux étages de logement pour un EHPAD -  et à l’EHPAD de demain -  par une meilleure intégration des EHPAD dans les schémas urbains. Par exemple, les EHPAD pourraient être intégrés dans un dispositif territorial unique regroupant sur un même territoire de proximité l’ensemble des services concourant au maintien au domicile des personnes âgées, avec gestion par un opérateur territorial unique. 

 

Cet avis du CCNE, qui prend appui sur l’exemple des personnes âgées les plus vulnérables, fait plus largement des propositions pour une refondation du système de santé, de la médecine et la formation des acteurs de la santé et du social. Le CCNE fait le constat que la médecine moderne contribue à la genèse de situations complexes et singulières qui échappent par-là même à la norme, au sens de moyenne, et à la médecine fondée sur les faits car, les situations étant singulières, elles empêchent toute forme d’expertise. Dans ce contexte, le CCNE suggère de :

-          S’efforcer d’adopter une approche de la singularité et de l’altérité vis-à-vis des situations médicales.

-          Apprendre à plus travailler en équipe pour appréhender au mieux ces situations complexes marquées par l’incertitude.

-          Valoriser la délibération et la réflexion éthique, quand bien même nous serions à une époque et dans un contexte où la tendance est à vouloir toujours réduire le temps et valoriser l’action et la performance. On pourrait, dans le cadre de la réforme de la  tarification à l’activité, valoriser cet acte réflexif et discursif interdisciplinaire qui aide à prendre des décisions complexes.

-          Réformer en profondeur la formation et les acteurs de la santé pour permettre et accompagner ce changement.