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Tribune : La liberté académique n’est pas une option, la démocratie est son enjeu, l’éthique sa boussole

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Cette tribune a été publié dans le Monde le 23 juin 2025. Elle est cosignée par le Pr Jean-François Delfraissy, Président du CCNE, le Pr Hervé Chneiweiss, Président du Comité d'éthique de l'Inserm, ainsi que par 22 Président.e.s de Comités d'éthique français.

Coupes budgétaires massives et brutales, licenciements immédiats, interdictions de financement et censure de sujets de recherche, suppression d’accès à des données scientifiques :  un ouragan souffle actuellement aux États-Unis, mettant à mal les fondements de l’enseignement universitaire et de la recherche, soudain désignés comme cibles idéologiques. Malgré la gravité de la situation, les réactions institutionnelles sont jusqu’ici limitées. Face à ces attaques sans précédent contre la science et les chercheurs, la « maison France » des comités d’éthique institutionnels à l’initiative du comité d’éthique de l’Inserm (Institut national pour la santé et la recherche médicale) et du Comité Consultatif national d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) souhaite réaffirmer que la liberté académique constitue un pilier essentiel de toute société démocratique, et que les comités d’éthique actifs en matière de recherche scientifique ont un rôle déterminant à jouer dans sa mise en œuvre concrète.


L’UNESCO définit la liberté académique par trois droits fondamentaux : la liberté d’enseignement, de recherche et d’expression (UNESCO, 1997, § 27). Ces principes sont protégés par des normes européennes et nationales qui garantissent leur mise en œuvre dans les environnements académiques*.


Prohiber l’usage de concepts essentiels pour décrire les réalités sanitaires et sociales contemporaines revient à menacer des pans entiers de la recherche internationale. C’est précisément ce que l’on observe aujourd’hui aux États-Unis, où la guerre contre la science menée par la nouvelle administration passe notamment par l’interdiction de termes comme « diversité », « égalité d’accès aux soins » ou « discrimination » dans les programmes de recherche et d’enseignement. Cette censure s’attaque en particulier aux travaux sur les inégalités sociales de santé liées au sexe et au genre, à l’origine ethnique, au statut socio-économique ou encore à l’environnement. Ces atteintes compromettent non seulement le développement de la connaissance scientifique mais également sa pertinence pour répondre aux défis sanitaires globaux. Les conséquences sont immédiates pour les recherches sur des maladies chroniques (cardiovasculaires, troubles mentaux, diabète, cancers...) et infectieuses (VIH, Covid, rougeole...), dont les déterminants sont indissociables de facteurs sociaux, culturels et économiques. Remettre en cause certaines recherches, limiter l’étude des pandémies ou discréditer la vaccination fragilise les bases scientifiques de la santé publique et des institutions démocratiques, tout en entravant la capacité de la science à éclairer les décisions politiques et à proposer des solutions aux enjeux sociaux et environnementaux contemporains et futurs.


En Europe de l’Ouest, et particulièrement en France, où la liberté académique reste solidement protégée et où les chercheurs bénéficient d’un haut niveau de formation et d’une excellence scientifique internationalement reconnue, de nombreux laboratoires collaborent activement avec des institutions américaines. Ces partenariats, aujourd’hui menacés, sont essentiels à la formation des doctorants et jeunes scientifiques, à la circulation des savoirs, et à l’avancement de projets scientifiques internationaux majeurs. Au-delà de ces enjeux, ce sont les fondements mêmes de la liberté académique qui sont bafoués. Lorsque la survie de projets de recherche dépend de leur conformité idéologique, lorsque des scientifiques doivent censurer leurs propres hypothèses pour espérer un financement, ce n’est pas seulement la créativité scientifique qui est bridée : c’est le droit fondamental à une pensée libre et indépendante qui est directement menacé. On peut prédire que ces bouleversements en cours aux États-Unis auront tôt ou tard des répercussions dans de nombreux pays. 


Nous voulons affirmer que la liberté académique n’est pas une option. C’est la condition de la confiance dans la science, de la qualité de la recherche, et de son utilité sociale. Dans toute démocratie, sa défense constitue un impératif éthique que les pouvoirs publics doivent soutenir avec force. Les comités d’éthique de la recherche jouent un rôle fondamental dans la protection des principes de rigueur scientifique et éthique qui doivent s’appliquer à toute recherche. Nous en appelons aux comités d’éthique pour la recherche partout dans le monde à défendre et promouvoir sans compromis les principes fondamentaux de l’éthique et de l’intégrité scientifique.

 

*L’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée ». L’indépendance académique s’inscrit parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984) et l’indépendance des enseignants chercheurs est érigée par le Conseil constitutionnel au rang des principes à valeur constitutionnelle (Décision n°83-168 DC du 20 janvier 1984).
Cette tribune est signée par les présidentes et présidents de 24 comités d’éthique institutionnels français.


Hervé Chneiweiss, Président du Comité d’éthique de l’INSERM
Jean-François Delfraissy, Président du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé (CCNE)

•  Philippe Amiel, Président du Comité éthique et cancer de la Ligue contre le cancer
•  Aurélien Benoilid, Président du Forum Européen de Bioéthique
•  Cyrille Bouvet, Président de la Fédération Française des Comités d’Éthique de la Recherche
•  Jacques Bringer, Président du Comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine
•  Agnès Brouard, Présidente de la Commission éthique de l’Académie nationale de Pharmacie
•  Margaret Buckingham, Présidente du Comité d’éthique de l’Institut Pasteur
•  Alain Cadix, Président du Comité Éthique, société et technologies de l’Académie des technologies
•  Patrick du Jardin, Président du Comité Éthique en Commun INRAE-Cirad-Ifremer-IRD
•  Nicolas Foureur, Directeur du Centre d’éthique clinique de l’AP-HP
•  Sophie Goedefroit, Présidente du Comité Consultatif d’Éthique du Muséum d’Histoire Naturelle
• Cyril Hazif-Thomas, Directeur de la Conférence Nationale des Espaces de Réflexion Éthique Régionaux (CNERER)
•  Christian Hervé, Directeur du Comité d’éthique et d’intégrité scientifique de l’hôpital Foch
•  Marc Joliot, Président du Comité d’éthique du Conseil de surveillance de l’Institut Curie
•  Claude Kirchner, Président du Comité d’éthique, de déontologie et d’intégrité scientifique de l’université Paris Cité
•  Dominique Le Guludec, Présidente du Comité éthique et société de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
•  Stanislas Lyonnet, Président du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine
•  Christine Musselin, Présidente du Comité d’éthique de la recherche (CER) de Sciences-Po
•  Christine Noiville, Présidente du Comité d’éthique du CNRS (Comets)
•  Virginie Rage, Présidente de la Conférence Nationale des Comités de Protection des Personnes
•  Stéphanie Ruphy, Directrice de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis)
•  Jean-Paul Sanderson, Président du Comité d’éthique de l’INED
•  Dominique Stoppa-Lyonnet, Présidente du Comité de déontologie et d’éthique de l’Institut National du Cancer